La conteuse d’elle-même (3) : il est beau, le soutien des Callaïdes !

Le narrateur découvre dans la Gazette de Nantain, journal dans lequel il publie ses chapitres des Callaïdes, l’existence d’un classement des auteurs du journal les plus appréciés des lecteurs, classement dans lequel il occupe piteusement la dernière place, avec 87 malheureux points ! Ce qui lui fait comprendre pourquoi le patron de la Gazette, monsieur Brigandin le bien-nommé, renâcle à lui permettre de connaître les joies d’une belle édition reliée en peau de chamois…

Ainsi était ma vie. Rien, absolument rien n’était fait pour permettre à mon génie de s’épanouir. J’avais autant de considération qu’un houret rhumatique bardé de puces et pour lequel on n’a même pas la gentillesse d’offrir une couverture pour eschauffer un peu ses vieux jours.

Je restai sur la table à broyer ma bile, mon aïrason, mon amertume et plein d’autres choses encore. Je renasquais bruyamment toutes les deux minutes, histoire de bien faire entendre à Pauline que j’étais malcontent, indigné que j’étais de l’avoir vue quitter la pièce avec son gros ventre pour aller se coucher, indifférente à mon humiliation créatrice. Mais elle ne se releva pas pour venir s’excuser, ça non ! en tendant l’oreille je perçus même un horrible ronflement. Quand je dis horrible cela ne signifie pas qu’il était aussi bruyant que celui d’un chopineur, non, il était léger mais horrible dans le sens qu’il indiquait que Pauline avait déjà rejoint le royaume des ronfleuses grosses, insouciantes et indifférentes à tout hors de leur gros paquet qui ne les fait ressembler à rien. Gros derrière, gros ventre, grosses mamelles et petit esprit, voilà comment sont les femmes grosses ! Pitié-malheur !

Ah ! lecteur bien aimable pour daigner poser tes yeux sur le prose d’un auteur qui vaut 87 points, pardonne mes sarcasmes vinaigrés. Mais comprends bien que je suis comme une marmite qui siffle au-dessus du feu. Il faut que ça sorte d’une manière ou d’une autre afin de ne pas combuster.

Mais qui dans mon désespoir pourrait m’aider ? qui ?

Les coudes sur la table, la tête entre les mains, j’imaginai alors mes Callaïdes dans ma chaumière et s’approchant de ma vieille carcasse d’écrivain pour poser une main consolative sur mon épaule, voire d’apposer un baiser parfumé sur ma tignasse.

Je tressaillis.

L’image était si forte que j’eus vraiment cette illusion et mon cœur se sentit aussitôt envahi par une douce sensation de chaleur. Mais l’impression ne dura pas car j’entendis une voix flûtée aux yeux smaragdins dire bassement dans mon dos :

Ça mon bonhomme, c’est ton affaire, pas la nôtre. Tu nous en fais assez baver comme cela, et je sais de quoi je parle avec ce que tu m’as fait subir il y a quelques chapitres. À toi de manger du pavé ! Bien fait ! Et ce n’est certes pas moi qui vais te plaindre. D’ailleurs, c’est bien simple, apprends mon cornard que j’ai décidé de fuir tes songes jusqu’à la fin du livre III, ça t’apprendra, ne compte plus sur moi pour ton inspiration qui ne me vaut que des malheurs. Et les autres ne sont pas loin de faire de même. Il serait peut-être temps de nous ménager et de nous octroyer enfin le confort qui nous est dû. Je crois assez que nous le méritons, non ? D’ailleurs, à ce sujet j’apprécierais fort que tu…

Je me levai pour quitter la pièce et fuir l’injustice d’Aalis. Me dire ça à moi alors que depuis quelques mois je la voyais comme ma préférée ! Bon, il est vrai que ce que je lui ai fait subir, comme elle dit, n’était pas très digne, je reconnais, mais enfin, quelle dramaturgie et finalement quelle admirable dignité retrouvée dans ce qui s’ensuit ! Elle le sait pardieu bien que des larmes me sont venues en écrivant ces lignes. Comment pouvait-elle m’en faire grief ? Et les quatre autres oies en dentelles trouvaient donc aussi que je ne les ménageais pas ? Même… même Charis ? Charis qui me paraissait l’incarnation de la douceur et de la bonté… D’un autre côté, il est vrai que je l’avais traînée dans un certain cloaque de la ville dans le premier Livre… M’en avait-elle donc gardé rancune ? Mais j’avais pourtant pris soin de préserver sa pureté, avec un autre que moi, tel l’horrible baron de Sailles, elle en eût connu de bien pires ! Mais, une fois de plus, je tressaillis. Je venais de conclure la veille le long récit d’un duel dans la cour du château et on ne pouvait pas dire que Charis y incarnait une douceur toute virginale. D’aimable jeune fille éthérée elle était devenue une femme fière et dure comme la lame d’une kalibor. D’ailleurs, au moment où je pénétrai dans la chambre à coucher, j’entendis sa voix distiller cette suggestion :

Laisse-le Aalis, je crois qu’il a compris, inutile d’accabler le pauvre homme. Tenez, écoutez plutôt, j’ai une idée : vous voyez la petite boîte sur cette commode ? Nous n’avons qu’à y glisser des requêtes sur nos sorts respectifs afin de rendre notre quotidien plus agréa…

Je fermai la porte. Oh ! Elles pouvaient bien mettre dans la boîte toutes leurs maudites suggestions, elles pouvaient être sûres qu’elles prendraient aussitôt le chemin de l’âtre ! Ou à la rigueur celui du boyau culier de Clément pour servir de torche-cul !

Tout en essuyant de la manche des larmes de rage, j’esquissai un sourire mauvais à cette idée, sourire qui se figea car, devant moi, faiblement éclairé par une bougie agonisant…

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