Des rafistolages narratifs après une tempête

Il y a un peu plus de deux ans je m’enthousiasmais à voir une histoire prendre corps et ouvrir d’intéressantes perspectives après trente pages écrites.

Quelques semaines plus tard, il y eut le frisson de voir qu’à ce chiffre s’était déjà ajouté un zéro.

Et deux ans plus tard, un deuxième zéro est en passe d’être atteint.

Toutes voiles au vent, je vogue en effet vers les trois mille pages. Mieux : je vois la terre à l’horizon, comprenez que des fils narratifs sont en passe de se rejoindre après m’avoir fait naviguer un temps en eaux troubles. Je reste encore indécis sur la longueur qu’aura le Livre III. Ce qui est sûr, c’est qu’il sera plus long que le deuxième (qui lui fait environ mille pages) et qu’il devrait être compris entre 1500 et 2000 pages. Il fallait bien cela pour s’occuper du cas d’Aalis et surtout faire de ce livre central un véritable tournant dans le cycle.

Après, voilà : comme tout voyage au long cours, il est bon parfois de faire escale – surtout après un bon coup de tabac –, pour faire provision de vivres, de tafia et surtout faire l’inventaire de toutes les avaries, même minimes, du navire. Car pour avoir discuté cet été avec une lectrice-Callaïde, j’ai bien compris qu’espérer que les petites incohérences passent inaperçues dans la masse était fort candide de ma part. Il faut dire que la lectrice en question a enchaîné les quatre tomes parus d’une traite, prise qu’elle était par la variété des situations, le caractère des personnages, les ressorts inattendus de l’intrigue et mille autres qualités desquelles ma modestie naturelle répugne à faire la liste.

Tout en discutant et en sirotant un cocktail maison (concocté par une autre lectrice, ma correctrice en chef !) aux abords d’une piscine (cette escale, c’était un peu comme Brando débarquant à Tahiti dans les Mutinés du Bounty, il faut juste remplacer les pagnes des vahinés par les bikinis pour bien visualiser), j’ai compris deux choses.

D’abord, le cycle possède une quantité considérable de scènes et de détails susceptibles de marquer l’esprit. Cela je le savais, mais il était bon de le vérifier par un retour.

Ensuite, qu’on ne la fait pas à un lecteur avisé. Je ne me souviens plus par quelle remarque de la lectrice en question j’en eus conscience mais, tout en reprenant une deuxième gorgée de vin et piochant dans un bol empli de morceaux de melon vert apporté par ma correctrice (vous avez vu si elle est aux petits soins avec moi), je me dis quelque chose comme : « Mille carognes ! Dès ce soir il faut que je rectifie tel passage dans le Livre III, ça ne va pas du tout ! »

C’est tout le paradoxe : on a beau avoir lu, relu et encore relu son manuscrit, on a beau connaître toutes les arcanes du récit, il peut encore y avoir une bévue qui traîne. Je pense cependant avoir bien brossé les moindres recoins pour qu’il n’y en ait quasiment plus. Mais alors que je vogue vers la 3000ème page donc, un boulet vient de jaillir je ne sais d’où et de percer la voile principale ! Un détail, là aussi, concernant un des personnages principaux, détail auquel je n’avais jamais fait attention et qui pose maintenant problème. Pas non plus de quoi mettre en péril l’édifice, c’est juste un trou dans la toile hein ! pas un mât arraché ou une coque fendue, mais c’est malgré tout agaçant car vous pouvez être sûr que des yeux comme ceux de cette lectrice s’apercevraient tout de suite de la faille. Et puis, quitte à bâtir un univers et une histoire, autant faire en sorte que tout soit du cousu main et en fil de soie, et pas en gros fil de chez Lidl.

Il faut donc rafistoler, terme peu élégant mais qui peut avoir pour vertu de déboucher sur des pistes intéressantes. Je suis en train de réparer le trou laissé par le passage du boulet. Je pensais y coudre une pièce avec juste le diamètre qu’il faut, finalement la pièce est quatre fois plus grande que le trou ! Mais ce n’est pas si grave puisque le travail a débouché sur le traitement d’une idée à travers un personnage qui n’avait été jusque là qu’évoqué, idée qui a pour vertu de rendre intéressant, d’approfondir l’attrait qu’exerce un personnage sur un autre.

Bref, après avoir jeté l’ancre, jeter l’encre en quantité pour rafistoler n’est pas forcément du temps de perdu. Et puis bon, injecter dix pages de plus à un récit touffu et feuilletonnant, ça ne va pas empêcher la navire de continuer d’avancer. La soute est déjà bien remplie, mais il y a encore de la place.

Gaspard Auclair

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