La marchande de quatre-saisons (2) : En route

Résumé de l’épisode précédent : le narrateur des Callaïdes s’aperçoit que sa chère et pas si douce, Pauline, a laissé une partie malléable (mais non dénuée de fermeté) de son anatomie sortir de la courtepointe de son lit. Il se dit qu’il y retournerait bien (dans son lit) mais se ravise finalement pour ne pas subir des coups ou des paroles vexatoires. Direction : le marché de Nantain, à une lieue de là, et à pied encore !

Il n’y avait plus lieu de rester. Je quittai la maison, un peu fâché d’un mot perçu que je trouvais tout de même bien vexant à mon égard, mais charmé par l’azur lavé de la pluie qui avait tambouriné à notre toiture une partie de la nuit. La journée promettait d’être belle, radieuse, aimable, en cela bien différente de Pauline, et c’est consolé par la perspective d’une belle marche matinale que je quittai l’enclos, longeai les dernières maisons du village, le mas du père Gringoire, le moulin des Tardivel, et que je suivis la longue route qui allait me mener jusqu’à la ville.

J’ai toujours aimé marcher, et j’ai toujours apprécié les marchés. La conjonction des deux, à la fin de chaque semaine, m’emplit donc de joie et c’est à chaque fois avec tristesse que je reste à la maison quand un temps pluvieux promet un véritable calvaire boueux pour m’y rendre. Il y aurait la possibilité d’y aller en accompagnant un des villageois dans sa charrette, on me l’a souvent proposé et je l’ai parfois accepté. Mais le plaisir n’est pas le même. Il me faut fournir du babin au charretier ou alors subir le propre babin de ce dernier, qui me parle de l’état de ses champs ou des coliques de ses vaches. Et quand viennent de rares moments de silence, impossible de se départir des cahots pour me plonger dans mes pensées. Et puis, le trajet s’en voit tout de suite écourté et j’aime à ce que cette marche dure un peu. C’est au bout d’un quart d’heure que l’esprit commence à se fondre dans ce qu’il voit tout en pensant à mille et une choses. Une tournure de phrase pour un chapitre que je suis en train de composer, un ressort d’intrigue, ou tout simplement un livre lu, en train d’être lu, à lire, des insultes à envoyer dans les dents de mon libraire qui ne me paye pas bien les lignes que je lui envoie, enfin le visage et la croupe agréables d’une paysanne croisée quand ce n’est pas le bruit de mes pas au milieu du silence bruissant de la nature.

Oui, trop court, le chemin n’aurait aucun intérêt. Mais avec sa bonne lieue qu’il me ménage pour atteindre la ville, l’esprit a le temps de s’éveiller en mangeant le paysage et je reviens toujours à la maison avec l’envie de manger le papier avec ma plume.

Et puis ce que c’est que d’être marié à une jeune femme de vingt ans ma cadette ! Il convient tout de même de conserver une certaine vigueur. « Allons ! Ce n’est rien, va ! Dormons plutôt (ça vaudra mieux) » me console parfois Pauline quand mon corps n’a plus puissance et se perd dans une mollesse qui ne donne rien de bon quand on se donne joie de faire bellement une tâche que vous fait vous sentir comme un hardi et jeune galant portant épée. J’ai remarqué que lors de ces journées où je marche longuement, il y a un peu de Déïmos en moi, le soir – si si ! Vous me verriez faire, vous seriez surpris. Alors que les journées où je reste attablé à écrire en trempant ma plume dans de trop nombreux verres de vin, j’ai tout de l’écuyer fainéant et mollasson. Un avantage de plus à la marche, donc ; en plus d’assouplir l’esprit, elle fortifie et rajeunit le corps, à condition bien sûr d’échapper à certains dangers.

Sur ce point, j’ai de la chance, depuis que nous avons emménagé à Taillefontaine, nous nous acagnardons dans un cadre luxuriant et dans l’ensemble inoffensif. Dans l’ensemble car je ne nie pas qu’il y a bien un ou deux loups qui rôdaillent dans les environs, ce qui fait dire à Pauline qu’il faudrait nous procurer quelque mâtin pour m’accompagner durant ces marches. L’idée ne me déplaît pas, mais pour l’instant, seule la solitude me sied. Quant à croiser des bandouliers, il faudrait que ce soit des bandouliers bien désœuvrés pour venir parasiter la route menant de notre village à Nantain afin de trousser les quelques carrioles de marchands.

Le seul imprévu que je rencontre, c’est lorsque je m’essaye à un chemin de traverse. C’est un autre de mes plaisirs : éprouver une nouvelle voie. Neuf fois sur dix, je m’y perds et elle me retarde d’une heurette, voire d’une heure quand je m’y prends mal, et j’avoue arriver  à Nantain bien las quand cela arrive. Le but est alors pour moi de mettre la main sur un des villageois venus en charrette au marché et lui demander de me ramener pour le retour. Car croyez bien que mon corps a pour lors sa dose d’efforts pour la journée et qu’il est bien préparé pour une éventuelle joute dans le lit. Il ne s’agit pas non plus de faire du zèle et d’arriver clopin clopant à la masure, la gueule poussiéreuse, les pieds sanglants et la braguette bote.

En tout cas, oui, j’aime à expérimenter des passages. Entre deux champs, à travers un bosquet jusqu’alors négligé, un sombre sentier partant sur la droite pour s’enfoncer dans la forêt de Lauges ou encore suivre d’emblée le ruisseau du pressoir menant à la jolie petite cascade, toujours joliette sous les rayons matinaux avant de m’aventurer dans l’une des innombrables voies pour retrouver la route principale.

Mais pour cette matinée, comme je partis un peu tard de la masure, je décidai de faire au plus simple en suivant la route principale. Moins de surprises, je savais aussi qu’inévitablement, des charrues s’arrêteraient pour me proposer de monter, interrompant ainsi mes rêveries, mais ce n’était pas grave : la bonne humeur prédominait. Je songeai au beau cul émergé et l’envie me vint d’en faire de la rimaille. Le regard fixé sur la flèche de l’adorable église de Loupfougères, l’esprit perdu dans des métaphores hardies et des rimes toutes d’équivoque, mon corps ne tarda pas à se sentir pousser lui aussi une flèche, ce qui m’incita à me calmer et à me perdre plutôt dans les nuages surplombant Loupfougères et à deviner ce que leurs formes pouvaient m’évoquer. Ici un lièvre, là un sanglier et là… la gueule antipathique de mon ladre de libraire ! Une sueur froide me coula le long de l’échine, je retournai à la composition de mon poème sur le cul de Pauline, ça valait mieux.

Et c’est donc tout bandochant et vingt vers en tête que j’arrivai à Nantain. Systématiquement, je passe par le petit pont haut perché flanqué de hautes maisons pour me rendre au quartier du Vieux Malon, où se trouve mon libraire à qui je dois remettre les épreuves de la semaine. Vous me pardonnerez si je pratique une ellipse pour passer directement à la suite. Ce qui s’est passé à la librairie ne vaut pas la peine d’être conté, et je sens ma bile toute combustive rien que d’y penser.

À suivre…

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