Tous les soirs du monde

La musique est un des cinq arts dans lesquels les Callaïdes doivent exceller et ce dans deux pratiques : le chant et la maîtrise d’un instrument. Et si pour le chant Sybil et Alya se valent, avantage à cette dernière concernant la capacité à atteindre des sommets par le biais d’instrument, d’un en particulier.

Il ne pouvait en être autrement car assez vite l’image d’un film s’est imposée quand est venu le moment de distribuer les rôles entre les personnages. Alya, multi-instrumentiste de génie, jouerait en particulier de la viole de gambe (ah ! au fait, dans les Callaïdes on ne dit pas “jambe” mais “gambe”), elle serait pour ainsi dire la mademoiselle de Sainte-Colombe du cycle.

Oui, le film en question, vous l’aurez deviné, est Tous les matins du monde. Ce n’est pas un film que j’ai vu à sa sortie, mais quelques années plus tard, alors que j’étais étudiant de Lettres. Et très vite, je me suis procuré la B.O. confiée à Jordi Savall (80 ans depuis un le mois dernier, feliz cumpleaños Jord’ !) et à son collectif Hesperion XX. Le CD a été écouté des dizaines de fois avant que je me procure d’autres albums, notamment ceux en rapport avec la musique baroque espagnole.

Dans mon esprit, c’est très simple, quand les Callaïdes ont à chanter devant la reine Catelyne, ça donne ceci :

À la rigueur, pour s’éloigner de Tous les Matins du monde, je veux bien aussi penser à cette scène de la Double Vie de Véronique, de Kieslowski :

https://www.youtube.com/watch?v=cObAAUFb2xs

Mais avantage tout de même à Une jeune fillette, langue et époque obligent.

Quant à la maîtrise d’un instrument, que choisir parmi la multitude de scènes ayant pour but de faire sentir la grâce, le don à travers quelques lignes mélodiques ? Il y aurait bien cette scène dans laquelle Marielle (Sainte-Colombe) joue et parvient à revoir sa défunte épouse :

Mais aux yeux de Sainte-Colombe laissant échapper quelques larmes, j’ai toujours préféré ceux, toujours les siens, au moment où le maître prête une oreille attentive à un court passage de la Rêveuse, de Marin Marais :

Les yeux se plissent. Pas besoin pour Marielle de surjouer, d’arborer des yeux exorbités, d’ouvrir une bouche béate, ce simple plissement suivi d’un visage vu de profil se tournant pour bien regarder le gambiste suffit à faire comprendre que la terrible intransigeance du maître se fissure. Quelques notes, juste quelques notes ont suffi à lui faire comprendre que, pour reprendre sa nuance, Marais ne fait pas que de la musique, qu’il est lui aussi bel et bien un musicien.

Alya a donc été conçue à partir de ce double modèle : Sainte Colombe communiquant avec un esprit défunt, Marin Marais taillé pour devenir un prodigieux musicien, écoutant patiemment, un rien subjugué, l’enseignement de son maître.

Venant du royaume d’Ohini après avoir connu dans son ensemble une terrible guerre accablant de mort et de famine ceux qu’elle aimait, la Callaïde a survécu grâce à la compagnie d’un grand-père qui lui a appris le sorud pour en jouer avec lui, le soir, parfois toute une nuit sans discontinuer, sous la vouté étoilée du désert d’Ohini.

Plus tard, son histoire fera qu’elle aussi sera choisie pour incarner Amete, la nymphe noire représentant la comédie. Incarnation un rien ironique car la belle Ohinienne n’a rien pour prêter à sourire. Son heure pour briller n’est pas encore venue mais quand elle arrivera, l’éclat d’Alya sera probablement aussi sombre que celui d’un onyx ou que celui de cette grande dame, elle aussi taillée sur mesure par la vie pour être une grande chanteuse, une grande musicienne et une grande malheureuse.

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